http://www.lefigaro.fr/international/20061110.FIG000000193_un_an_de_revolution_morale_a_varsovie.html
Un an de
''révolution morale''
à Varsovie
De notre envoyée
spéciale à Varsovie ARIELLE THEDREL.
Publié le 10
novembre 2006
Actualisé le
10 novembre 2006 : 08h46
Les
municipales de dimanche constituent le premier grand test pour
les jumeaux Kaczynski, au pouvoir depuis un an.
DEPUIS UN MOIS,
grâce à Premyslaw Gosiewski, le train express qui
relie Varsovie à Cracovie fait une halte à
Wloszczowa, une bourgade de 10 000 habitants. En signe de
reconnaissance, le quai de la gare porte désormais le
nom de son bienfaiteur. L'opération a coûté
plus de trois millions d'euros. Une broutille pour
M. Gosiewski, qui se trouve être l'éminence
grise du premier ministre, Jaroslaw Kaczynski... L'anecdote
prête à sourire, sauf que les Kaczynski ne font
plus rire personne à Varsovie. Perçus avant les
élections comme des conservateurs bon teint, ils
déconcertent jusqu'à leurs propres électeurs
qui ne s'attendaient pas à voir leur parti, Droit et
Justice (PIS), flirter sans complexes avec le
national-populisme, s'allier à deux partis extrémistes
et copiner avec le père Rydzyk, chef de file d'un
courant intégriste xénophobe et antieuropéen.
À l'approche
des élections locales de dimanche, l'opposition s'est
mobilisée pour, explique l'ancien chef de la diplomatie
Bronislaw Geremek, « faire barrage au
jacobinisme ». Surmontant leurs scrupules, les
anciennes figures de proue de Solidarité ont conclu une
alliance contre nature avec la gauche postcommuniste. Les
libéraux ont engagé leurs grosses pointures dans
la bataille. Au coude à coude dans les sondages, leur
candidate, Hanna Gronkiewicz-Waltz, une économiste
ultralibérale, affrontera pour la mairie de Varsovie un
jeune loup du PIS, Kazimierz Marcinkiewicz, ex-premier
ministre, proche, dit-on, de l'Opus Dei.
Il n'a fallu que
quelques mois pour que les slogans emphatiques des jumeaux
monozygotes entrent en application. « Je croyais
au début qu'il ne s'agissait que de renforcer les
pouvoirs de l'État, confie Bronislaw Geremek. Mais
cela vire à la pathologie. » La
« révolution morale » est
en marche, « violant, selon Marek Borowski,
candidat social-démocrate pour la mairie de Varsovie,
les règles les plus élémentaires de la
démocratie ».
La mise en place
d'un Bureau de lutte contre la corruption a débouché
sur une chasse aux sorcières visant à
discréditer non seulement la gauche postcommuniste,
mais aussi les anciennes élites de Solidarité
coupables, selon les jumeaux, d'avoir trahi leurs idéaux
en pactisant avec l'ancien régime. Sans états
d'âme, le président Lech Kaczynski et son frère
Jaroslaw « nettoient »
l'appareil d'État pour placer leurs fidèles à
la tête des institutions garantes de la démocratie.
« Délire
rhétorique »
Radios et chaînes
de télévision publiques sont déjà
sous contrôle. La création d'une « réserve
nationale des cadres » leur permet de
faire la pluie et le beau temps au sein de la fonction
publique. Depuis septembre, une commission de surveillance,
dont les membres ont été nommés par le
premier ministre, supervise les activités de la Bourse
et du secteur bancaire. Une loi est en préparation pour
centraliser la gestion des fonds européens. Le tribunal
constitutionnel, coupable d'avoir invalidé plusieurs
lois, est lui aussi dans le collimateur.
Tirant à hue
et à dia, la coalition gouvernementale a suspendu la
réforme des f i
nances publiques et gelé le processus de privatisations
pour plonger la Pologne dans ce qu'un diplomate occidental
qualifie de « délire rhétorique ».
« J'ai l'impression que ces gens vivent sur
une autre planète », témoigne
le député libéral Pawel Spiewak, qui
n'hésite pas à parler de « régression »
et d'« obscurantisme ». Cet
été, des députés ont prié
dans la chapelle du Parlement pour que la pluie mette fin à
la sécheresse. D'autres s'invectivent pour rétablir
la peine de mort, débattent pour interdire totalement
l'avortement, diabolisent la théorie de l'évolution
de Darwin, ou appellent à restreindre l'activité
des hypermarchés...
Jusqu'où iront
les Kaczynski ? Pawel Spiewak se veut rassurant :
« On ne peut pas se permettre de faire
n'importe quoi quand on s'apprête à recevoir une
manne européenne de près de 70 milliards
d'euros. » Et en dépit des apparences,
ironise Bronislaw Geremek, les Kaczynski, eurosceptiques
notoires, « ont accompli une véritable
révolution copernicienne en comprenant enfin qu'ils
seront jugés sur la façon dont ils géreront
ces fonds européens ». De fait,
constate un diplomate occidental, « ils
ont rééquilibré leurs discours sur la
construction européenne au point de prendre
l'initiative en matière institutionnelle ou de
défense ».
La radicalisation
des Kaczynski relève surtout du calcul politique. En
panne de majorité, ils rêvent d'« avaler »
les ultracatholiques de la Ligue des familles polonaises et
les populistes de Samoobrona. La tactique sera-t-elle
payante ? Au vu des sondages, le PIS devrait mordre,
dimanche, sur les électorats de ses turbulents alliés.
Mais une partie de ses propres électeurs, qui
désapprouvent ces liaisons dangereuses, menace de se
déplacer au centre. « C'est une situation
schizophrénique, explique Marek Borowski. Les
Kaczynski ne peuvent se radicaliser davantage sans perdre leur
base électorale. Mais en même temps, ils sont
contraints de coopérer avec leurs alliés
extrémistes. » La Pologne, confirme un
diplomate européen, « est entrée
dans une étrange constellation où nous pouvons
prévoir des crises à répétition ».
Et, de l'avis général,
pas mal de dégâts.
( Un an de révolution ming
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